LE LOUVRE : NUIT SUR NUIT, AVEC DANIEL PYPE
L’écrivain Thomas Bernhard, à travers son incorrigible personnage nommé Reger, raconte la rencontre entre les œuvres d’art et le public: « les guides expliquent toujours principalement ce qu’on peut naturellement voir tout à fait clairement et qui n’a donc nul besoin d’être expliqué,
mais ils expliquent et expliquent et montrent et montrent et parlent et parlent. »… Qu’est ce qu’une œuvre d’art ? Se demande-il dans son livre, Les Maîtres Anciens. Face aux énigmes posées par les œuvres d’art des maîtres anciens, Daniel Pype propose son expérience singulière.
Quand la nuit efface les contours de la ville, il s’enferme seul dans le musée du Louvre et il attend.
À travers les fenêtres du célèbre sanctuaire, la lune répand peu à peu sa lueur céleste tandis que du quai de la Seine, les lumières terrestres la rejoigne. Sous le regard fasciné du photographe, cette rencontre extravagante opère sur la surface des œuvres d’ étranges métamorphoses :
« Les trois grâces » dévoilent leurs dons érotiques, l’esclave de Michel-Ange semble implorer du ciel le pardon, tandis que dans les alentours, Diane avec son arc dévastateur, fait mine de roder.
Ailleurs, dans un jardin surréaliste, la Milo ceinte par des lanières d’ombres signale sournoisement son inexplicable présence, un roi Assyrien planifie des conquêtes sanglantes et des pharaons effrayants jugent l’éternité.
Dans les clichés de Daniel Pype, il n’est plus question de voir des reproductions photographiques d’œuvres d’art mais des révélations de la nuit vers la lumière. Qu’est ce qu’une œuvre d’art ? Des forces, des formes et la lumière se répondant ? Dans le clair-obscur des images, le silence cerne les corps et les visages des personnages détachés des œuvres d’art des maîtres anciens, c’est beau, très beau, effrayant parfois, comme le sublime.
Ileana Cornea (critique d’art) Paris 11.07. 2018